L'Arbre Soleil

Je vous propose de transplaner vers Monopolis, et de rencontrer dans ce voyage transidéral les figures archétypales cachées derrière les chansons cultes de l'Opéra Rock pour revisiter votre histoire familiale.

L'Histoire

Chapitre I« Voulez-vous voir la mort en face, elle s’habille en technicolor » 

Starmania raconte l’histoire d’un groupe d’individus vivant dans une dystopie. Dans cet univers, l’Occident est devenu une immense mégalopole appelée Monopolis, qui tarde à élire un dirigeant. À Monopolis, tout le monde survit dans la grisaille d’un monde où l’existence se résume à travailler, accumuler des biens pour donner l’illusion d’exister, et espérer briller un jour dans l’immense show télévisé Starmania. Cette émission, animée par la pétillante et ingénue Crystal, invite les participants à partager leurs parcours de vie exceptionnels, espérant ainsi devenir célèbres et adulés. À la surface de Monopolis, le magnat de l’immobilier Zéro Janvier se présente aux élections sous la bannière du « Parti pour le Progrès », prônant plus de sécurité dans les rues. Il défend une vision futuriste d’une cité dotée d’une milice spéciale, face à Grand Gourou, un mystique écologiste dénonçant le surnombre de gratte-ciels et prêchant pour un retour à l’harmonie avec la nature. Dans les bas-fonds de Monopolis, un bistrot maussade, l'Underground café, abrite Marie-Jeanne, une serveuse automate qui observe et commente les agissements de la bande des Étoiles Noires, un gang anarchiste dirigé par Sadia. Jeune femme aux cheveux bleus, Sadia se fait passer pour un garçon travesti en fille et s’habille comme tel. En réalité, elle vient d’un milieu bourgeois et intellectuel, politiquement engagé à droite. Aux côtés de son fidèle et dévoué acolyte Johnny Rockfort, Sadia sème la terreur dans la ville à coups d'agressions et d'attentats pour exprimer sa révolte contre l’oppression d’un capitalisme tentaculaire, asservissant le peuple. Dans cette dystopie, Marie-Jeanne nourrit un amour secret pour Ziggy, un jeune homme à la beauté d’Adonis. Homosexuel et rêvant de devenir une étoile de Starmania grâce à ses talents de danseur, Ziggy est prêt à tout pour réaliser son rêve, quitte à rejoindre la cause destructrice de Sadia. Cette dernière, portée par une colère incontrôlable, cherche à faire entendre sa voix et à renverser le monde entier. Elle convainc Crystal de descendre dans les bas-fonds pour donner une tribune à sa révolte. Lorsque Johnny et Crystal se rencontrent, c’est le coup de foudre. Ce qui devait être une prise d’otage spectaculaire se transforme en une escapade romantique. Johnny trouve enfin dans les bras de Crystal une douceur qui adoucit son regard sur le monde, tandis que Crystal découvre un sens nouveau à son rôle de présentatrice, pensant désormais défendre une cause légitime. Cet amour naissant déclenche la jalousie et la colère de Sadia, qui craint que cette idylle ne compromette ses projets destructeurs.

Chapitre II« Quand on a plus rien à perdre » Pendant ce temps, Zéro Janvier poursuit sa campagne avec détermination. Pour asseoir son image, il se fiance avec Stella Spotlight, une ancienne star de cinéma déchue et alcoolique. Lui se présente comme un romantique pour séduire l’électorat ; elle, elle espère retrouver la lumière grâce à la notoriété de Zéro, alors que le poids des années l’éloigne de la beauté qui l’avait portée au sommet du star-system. Toutefois, pour fuir cette mascarade, Stella fréquente régulièrement les messes étranges et libertines du Grand Gourou, qui continue de dénoncer le mal-être de Monopolis tout en distribuant des drogues à ses adeptes. 

Chapitre III« On danse les uns contre les autres » Le soir des élections, Zéro Janvier est élu président de Monopolis lors d’une grande soirée à la discothèque du Naziland. Enivré par son triomphe, il abandonne Stella, qui, désespérée, met fin à ses jours. Sadia, qui travaillait secrètement pour Zéro en semant la peur dans la cité, profite de la soirée pour se venger : elle tire sur Crystal, qui meurt dans les bras de Johnny. Dévasté, Johnny décide de rejoindre son seul amour dans l’explosion de la bombe qu’ils avaient prévu de poser au Naziland. La seule survivante est Marie-Jeanne, la serveuse automate. Elle conclut l’histoire par un constat amer et sans appel .« Le monde est stone », et elle renonce à lui donner du sens ou et en vient à elle aussi douter du sens de l’existence.


Le "S"

Chapitre IV« Travesti derrière le S.o.s. d’un terrien en détresse» Le "S" de Starmania est omniprésent, qu’il s’agisse des affiches, des produits dérivés ou des symboles disséminés dans l’univers de l’œuvre. Un bleu marine en arrière-plan et un "S"jaune composé d'étoiles.  Jaune comme la fonction intuition dont Luc Plamondo s'est peut-être inspirée pour avoir cette vision du futur. Le "S" semble incarner ce désir ardent, partagé par tous, de devenir ou de rester maître de sa propre existence. Chaque personnage lutte contre la tentation de se laisser objectiver, que ce soit par le système ou par les autres, cherchant désespérément une liberté qui leur échappe. Ce "S" se métamorphose tout au long de l’histoire, reflétant les tensions et contradictions de cet univers. Tantôt il s’inverse pour devenir le "Z" de Zéro Janvier ou de "Z"iggy, tantôt il bascule pour introduire le nom du "N"aziland, cette discothèque symbole d’excès et de superficialité. Il s’anime dans l’hymne dansé de la discothèque, siffle avec "S"adia qui le revendique pour se nommer, et s’impose avec "S"tella Spotlight, où il évoque l’éclat perdu d’une étoile cherchant à raviver sa lumière.  Le bleu des cheveux de Sadia, des yeux des Ziggy, et du costard de Zéro Janvier. Bleu comme la fonction pensée en extraversion, qui asservit et manipule. 

Le "S" n’est pas qu’une lettre ; il est un fil conducteur, une empreinte, une clé pour comprendre les aspirations et les tourments de cette ville unique en quête de sens et de liberté.
 
 


Archétype et complexes

Chapitre V« Egotrip » Dans Starmania, l’archétype du Moi s’incarne à travers les luttes identitaires et narcissiques des personnages, chacun tournant autour de la Tour Nord de Zéro Janvier, symbole de domination et d’illusion de contrôle. Cette tour, au cœur de Monopolis, reflète le pouvoir et l’ambition, mais aussi la vacuité d’un Moi aliéné par des complexes et des projections. 

« J’ai tout cassé avant de partir, j’ai pas de passé, pas d’avenir » Johnny Rockfort incarne l’archétype du Puer Aeternus, l’éternel adolescent, révolté et idéaliste. Son Moi est dominé par un complexe de l’enfant rebelle.  Sans surprise, il s'aliment d'un idéal anarchiste. Cependant, cet idéal, loin de le libérer, l’aliène : il agit moins par conviction que par fuite, refusant de se confronter à une réalité trop lourde. Sa relation avec Sadia, elle-même marquée par une dualité psychique, l’enferme dans une dynamique de dépendance et d’obéissance, masquée par un vernis de liberté. Johnny, en quête de sens et de douceur, entrevoit un autre chemin à travers sa rencontre avec Crystal, mais son incapacité à intégrer ses désirs profonds le condamne à un destin tragique. 

« M’appelez pas Madame, sans savoir qui je suis » Sadia est le symbole du complexe du double, une figure d’ambivalence et de dissimulation. Agent double pour Zéro Janvier, elle jongle entre deux identités : celle de la leader anarchiste et celle de la fille bourgeoise honteuse, dissimulant également sa féminité sous une façade masculine. Cette dualité reflète un Moi éclaté, incapable d’unifier ses aspirations contradictoires : son besoin de destruction s’oppose à son désir de contrôle et de pouvoir. Elle incarne le mariage intérieur raté. Sadia manipule son entourage, mais sa colère, dirigée autant contre elle-même que contre le système, finit par la consumer. 

« Quand on choisit sa vie, faut la vivre jusqu’au bout » Crystal, journaliste vedette de Starmania, incarne l’illusion d’un Moi stable. Symbole de Monopolis, elle est le visage du système médiatique, capturant l’attention sans réellement produire de sens. Sa rencontre avec Johnny lui offre un moment de répit, où elle entrevoit une forme d’authenticité et un rôle plus profond que celui de porte-parole d’un univers superficiel. Cependant, cette quête d’un Moi plus authentique est brutalement interrompue, soulignant la fragilité de ses aspirations face à un monde oppressant. 

« Pour pouvoir dire pourquoi j’existe » Zéro Janvier, magnat de l’immobilier et homme politique, illustre un Moi submergé par un ego démesuré. Son obsession du contrôle et de l’ordre se manifeste dans la construction de la Tour Nord, symbole de sa persona grandiose. Mais cet édifice de pouvoir masque une incapacité à intégrer ses propres ombres, une fragilité qui se traduit par une dépendance aux manipulations et une froideur émotionnelle. Zéro incarne l’ambition vidée de sens, une force destructrice pour lui et ceux qui l’entourent. Coincé dans son costume comme il l'est dans sa tour d'ivoire, Zéro aurait souhaité vivre d'un art qu'il ne possède pas.

« Venez voir l’envers du décor » Stella Spotlight souffre de voir sa persona, cette image publique glamour, se flétrir sous le poids du temps. Son Moi, dominé par un complexe d'égo, est incapable de s’adapter à cette perte : elle s’accroche à Zéro Janvier, espérant redorer son éclat, mais cette tentative la plonge dans un désespoir plus profond. La lucidité, ca ne vous loupe jamais. Stella illustre le drame d’un Moi prisonnier d’un masque social, incapable de se réinventer et condamné à l’effondrement. 

« Premier danseur rock au monde » Ziggy, danseur ambitieux, est un Icare moderne, fuyant ses instincts terrestres pour s’élever dans le monde céleste des étoiles de Starmania. Son Moi fragile est fasciné par cet idéal, mais cette quête de gloire le déconnecte de lui-même. Incapable de concilier ses aspirations et ses désirs, il illustre le danger d’un Moi captivé par des illusions, attiré par la lumière mais incapable de survivre à sa brûlure. 

« Paranoïa, on se sent tout de suite comme chez soi » Le Grand Gourou exploite les failles narcissiques des citoyens de Monopolis, manipulant leur quête de sens pour les soumettre à son mysticisme toxique. Il incarne un Moi détourné par un complexe de domination spirituelle, utilisant les désirs inassouvis et les blessures de chacun pour les contrôler. C'est le complexe du Moi spirituel, aliéné par l'orthorexie libidinale. Par ses rituels étranges et ses drogues, il empoisonne l’esprit des citoyens, amplifiant leur confusion et leur aliénation. Le Grand Gourou est l’ombre collective de Monopolis, un miroir de son désespoir et de son besoin désespéré d’un guide. 

« Refaire le monde comme un millionnaire » La Tour Nord de Zéro Janvier n’est pas seulement un gratte-ciel : elle est le symbole du Moi fragmenté de Monopolis. Chaque personnage tourne autour de cette structure centrale, attiré ou repoussé par ce qu’elle représente : pouvoir, contrôle, succès, ou oppression. La tour reflète les complexes qui façonnent les relations et les conflits : l’ego hypertrophié de Zéro, la persona brisée de Stella, le désir céleste de Ziggy, ou la révolte désorganisée de Johnny. Elle illustre l’échec d’unifier ces fragments en un Moi cohérent, condamnant les personnages à des destins tragiques. Dans Starmania, le Moi est à la fois le moteur et la victime des luttes psychiques des personnages. Leurs complexes, organisés autour d’archétypes universels, les mènent dans une quête d’individuation qui échoue face aux illusions, aux désirs et aux failles du système. Le drame de Monopolis devient ainsi une réflexion universelle sur les tensions entre le Moi, l’ego et les ombres qui nous hantent tous. 


Le Désir

Chapitre VI

 « Devant mon miroir, j’ai rêvé d’être une star,… ce soir j’irai voir à travers le miroir si la vie est éternelle » Tous les personnages de Starmania sont réunis autour du lieu totem : la discothèque du Naziland, au cœur de monopolis, le point le plus élevé de la cité. Loin de l’énergie refoulée de l’ombre, c’est le lieu à fréquenter si l’on veut briller. Ils sont presque tous emprunts du désir de devenir à leur tour une étoile, élément céleste, étincelant, que l’on admire à distance. Presque tous car Marie-Jeanne, la serveuse automate, est la seule à rester dans l’underground café. La seule à ne rien désirer. La seule à accepter sa condition, qui la comprime dans un quotidien en tout point identique jour après jour. Elle ne s’interroge pas sur le sens de la vie car elle n’en a pas. Unique personnage à ne pas être le sujet sa propre vie, Marie-jeanne ne désire pas. Hasard si cette dernière survit à l’explosion finale ? oh bien sûr, elle aime, mais elle a choisi d’aimer un être qui ne la désirera jamais. Ainsi donc, la question du désir est résolument centrale dans Starmania. Etoile noire ou étoile d’or, jusqu’où mène le désir ? Chaque personnage poursuit une quête d’éternité au travers de son désir. Qu’il s’agisse du désir de conquête avec Zéro, de celui de« séduire encore » avec Stella, du désir de briller avec Ziggy, de renverser le père avec Sadia, ou du désir de trouver du sens à sa vie pour des valeurs  avec Johnny et Cristal, le salut de l’âme n’existe pas à la surface. Les étoiles naissent, vivent et meurent telles qu’on les a aimées : exposées, explosives, irréelles et sans aucune trace de leur passage. Si la serveuse trouve refuge dans la culture des tomates, c’est parce qu’elle a tourné le dos aux étoiles, comprenant que celles-ci ne peuvent briller que dans l’obscurité. Marie-Jeanne a-t-elle raison d'avoir choisi le soleil pour rêver à demain?