PNJ signifie personnage non joueur. C'est un acronyme utilisé pour parler des figurants qui peuplent les plateformes de jeu en ligne. Ce sont tous ces individus qui font partie du décor, ceux qui enchaînent jour après jour, semaine après semaine et, mois après mois les mêmes actions. Leurs interventions, leurs répliques, leur routine quotidienne, tout est codé les interactions répondent à une suite de chiffres, une programmation bien rodée qui ne poursuit qu'un seul but: organiser tout le système du jeu autour d'un fonctionnement précis.
A côté de ces PNJ, il y a les joueurs, ceux qui sont aux commandes de leur partie de jeu. Ceux qui sont responsables et acteurs de leur aventure.
Dans le film Free Guy(2020), Guy est un PNJ comme les autres. Il a intégré à son système de croyances et à sa réalité interne que les hold up faisaient partie de sa vie de guichet, que la café du coin lui servirait toujours le même déca, que les baskets dernier cri dans la vitrine serait pour lui "un beau jour". Guy est comme de nombreuses personnes: il n'envisage pas que les choses en soient autrement. Il fonctionne à l'instar de son cher petit Goldy aux écailles dorées, il tourne en rond dans son bocal. Les joueurs, eux, sont pourvus de lunettes de soleil qui leur donnent accès à un ensemble de possibilités surréalistes. Les joueurs ne sont pas soumis aux règles usuelles et codées du monde prénommé ironiquement "FreeCity".
L'histoire du film Free Guy commence véritablement lorsque notre (anti)héros croise de manière inopinée une joueuse. Quelque chose de la rencontre éveille en lui l'inattendu, un bug dans le codage, une "couille dans le potage". C'est le sursaut pulsionnel de vie qui entre en scène. Dans la boucle temporelle qui dicte sa vie, cette rencontre ne peut pas en rester au statut d'instant fortuit. Pour Guy, c'est évident, il faut forcer le destin et retrouver cette mystérieuse inconnue. L'impulsion est trop forte, il trouve un moyen d'être en possession de lunettes de soleil: sa réalité est transcendée. Guy commence alors sa propre partie de jeu, certes, semée d'embûches, mais non moins palpitante. En prenant conscience du paradigme dans lequel il vit, et de la boucle temporelle dans laquelle il a évolué, il s'accorde le droit de faire un pas de coté au programme codé, il invite chacun des autres PNJ (les autres instances psychiques?) à revisiter leurs croyances (in)conscientes, et à les passer au tamis de la pertinence, de l'ici et maintenant. L'enjeu est clair: que chaque personnage du système puisse goûter au grand air de sa pleine marge de manoeuvre. Peut-être loin de "FreeCity", loin d'un système où le contrat groupal intime aux individus de se plier docilement à la routine, à l'assertivité instituée des PNJ.
Le film s'inspire des célèbres licences Fortnite et GTA. Et, au travers des nombreux clins d'oeil faits aux franchises précitées, le scénario convoque les spectateurs à s'interroger sur le rôle qu'ils occupent dans leur propre existence : Joueur ou PNJ? Porteur de lunettes ou non ? Qui nous a donné ces lunettes? Qui en porte? Qui a choisi de les enlever? Qui n'en porte pas ou plus? De quoi nous préserve le statut de PNJ ? Quelle est l'insoutenable vérité que l'on cherche à oublier en se réfugiant derrière le rôle de PNJ dans notre système? Quel est le codage, le programme inconscient de notre vie? De notre histoire familiale? Dans quelle boucle temporelle nous sommes-nous enfermés? Depuis quand? De quel bénéfice (inavouable) est-il question quand on s'accorde à se dire "prisonnier mais satisfait" de son existence? Si le personnage de Guy, simple PNJ, se dote miraculeusement d'une intelligence artificielle, peut-être pourrions-nous aussi envisager comment peuvent fleurir les possibles sous nos yeux, lorsque nous nous offrons la liberté de devenir le véritable joueur de notre vie?